Fiches pornographie
PL S-210 ET PL C-63 : L’UN NE VA PAS SANS L’AUTRE
La Coalition Féministe contre la Violence envers les Femmes (CFVF) lance une campagne d’information et de sensibilisation sur la complémentarité du projet de loi S-210 traitant de l’accès des mineur·es aux plateformes pornographiques et du projet de loi C-63 abordant les préjudices en ligne.
Un enjeu de taille
Il est impératif d'envisager sérieusement une réglementation des sites pornographiques pour protéger les jeunes, en particulier les mineur·es. Cette démarche dépasse largement la simple question de moralité, s’inscrivant dans une perspective féministe visant à contester les normes sexistes et à protéger la santé mentale et physique des individu·es les plus vulnérables de notre société.
Selon une étude longitudinale menée auprès de jeunes du Québec, 60 à 65% des moins de 14 ans et 68,4% des 14 à 18 ans ont consommé au moins une forme de pornographie. Cette proportion monte même à plus de 85 % chez les garçons. De plus, une enquête menée aux États-Unis révèle qu’un enfant sur quatre a déclaré avoir vu involontairement des images pornographiques en ligne. Ces statistiques sont alarmantes sachant que l’exposition précoce à la pornographie peut avoir plusieurs conséquences importantes sur l’enfant, pouvant même entrainer l’adoption de pratiques sexuelles à risques tout au long de sa vie, mais aussi lors de relations sexuelles précoces.
L’exposition à la pornographie a des impacts concrets sur la santé mentale des jeunes, mais aussi des moins jeunes. Plusieurs études ont montré que la pornographie en ligne était consommée pour se soustraire au stress ou fuir des émotions négatives. À long terme, la pornographie crée des dysfonctionnements sexuels, en particulier l’incapacité à atteindre l’érection ou l’orgasme avec un·e partenaire réel·le. De plus, les études démontrent que la qualité de la relation conjugale et de l’engagement envers un·e conjoint·e semble également compromise. Notamment, une étude de l'Université de Montréal, démontre que la consommation de pornographie est associée à des perceptions plus négatives des relations amoureuses chez les jeunes adultes. De surcroit, la surconsommation de pornographie peut aussi perturber le développement de l'identité sexuelle des adolescent·es en encourageant des comportements et des stéréotypes de genre qui ne reflètent pas la réalité.
En plus de contribuer de manière significative à l’hypersexualisation des femmes et de renforcer des standards de beauté irréalistes, la consommation de pornographie a un impact significatif sur les comportements sexistes voire dégradants à l’égard des femmes. En effet, selon une étude de l’Université Bloomington d’Indiana, plus de 40% des scripts des plateformes pornographiques les plus visionnées proposent des scènes de violences envers les femmes incluant du gagging, des fessées (spanking) ou des tapes au visage ou sur le corps (slapping), de l’étranglement (choking) ou encore du tirage de cheveux. Ces actes de violences, normalisés sur les plateformes pornographiques, ont de graves conséquences sur le développement des filles et des femmes, mais aussi sur les couples et les relations sexuelles de manière plus générale. Selon un sondage réalisé pour la BBC auprès de plus de 2000 femmes, 42 % affirment avoir senti une pression ou s’être senties obligées d’accepter des gestes de violence à leur égard et 20 % déclarent qu’elles sont restées bouleversées ou effrayées par la situation.
En plus de tous ces effets alarmants, la pornographie en ligne est souvent le fruit de l'exploitation sexuelle et de la diffusion non consensuelle de contenus intimes. En effet, l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime estime qu’environ 53% de la traite des êtres humains dans le monde est liée à la traite en vue de l’exploitation sexuelle, dont une proportion significative est liée à l'industrie pornographique. De plus, au Canada les études démontrent que 80% des personnes exploitées sexuellement ont commencé lorsqu’elles étaient mineures, plus précisément, lorsqu’elles étaient des enfants.
La situation actuelle
Au Québec et au Canada, la pornographie en ligne est principalement encadrée par les lois sur la protection de l'enfance, la cybercriminalité et la pornographie juvénile.
Protection de l'enfance : La Loi sur la protection de la jeunesse au Québec et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents au niveau fédéral s'emploient à garantir la sécurité des mineur·es face aux contenus pornographiques préjudiciables. Ces lois prévoient des sanctions pour ceux qui produisent, distribuent ou accèdent à de la pornographie impliquant des mineur·es, dans le but de prévenir leur exploitation et de protéger leur bien-être.
Cybercriminalité : Le Code criminel du Canada contient des dispositions spécifiques pour lutter contre la cybercriminalité, y compris la diffusion non consensuelle de contenus intimes, communément appelée « revenge porn », ainsi que la traite des personnes à des fins d'exploitation sexuelle en ligne. Ces mesures visent à contrer les actes illégaux perpétrés via Internet et à protéger la dignité et l'intégrité des individus en ligne.
Réglementation Internet : Bien que le gouvernement canadien surveille et réglemente divers aspects d'Internet, y compris la pornographie en ligne, il n'existe pas de loi spécifique régissant ce contenu. Cependant, des initiatives ont été mises en place pour promouvoir la sécurité en ligne et sensibiliser à l'impact de la pornographie sur les jeunes. Ces initiatives comprennent des programmes éducatifs, des campagnes de sensibilisation et des partenariats avec des organismes de protection de l'enfance pour aider les jeunes à naviguer de manière responsable dans le monde numérique.
Pourquoi la campagne PL S-210 ET PL C-63 : L’UN NE VA PAS SANS L’AUTRE
Le 24 février dernier, le gouvernement fédéral annonçait le projet de loi C-63 également connu sous le nom de Loi sur les préjudices en ligne. Ce projet de loi vise à interdire sur les plateformes en ligne le contenu sexuel diffusé sans consentement ou montrant des agressions de mineur·es, tout en maintenant l’accès aux sites pornographiques sans vérification d’âge. Ce projet de loi vise à supplanter le projet de loi S-210 intitulé Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite présenté par la sénatrice indépendante Julie Miville-Dechêne. Ce dernier est vivement critiqué par le gouvernement libéral, car perçu comme portant atteinte au droit à la vie privée notamment à cause de la vérification de l’âge des personnes visitant les sites web, mais aussi à la liberté d’expression des producteurs et diffuseurs de pornographie.
Nous, Coalition Féministe contre la Violence envers les Femmes, sommes d'avis que les deux projets de loi sont complémentaires et devraient être adoptés conjointement afin de créer un cadre plus complet pour assurer la sécurité en ligne ainsi que protéger la dignité et l'intégrité des individus, en particulier des mineur·es. Voici pourquoi.
Le projet de loi S-210, c’est quoi?
Adopté par le Sénat le 18 avril 2023, le projet de loi S-210 vise à restreindre l'accès des mineur·es aux contenus pornographiques en ligne. Il prévoit l'obligation pour les fournisseurs de services Internet de bloquer l'accès à ces sites pour les personnes utilisatrices âgées de moins de 18 ans. Ce projet de loi est motivé par des préoccupations croissantes concernant les effets nocifs de l'exposition précoce des mineur·es à des contenus pornographiques en ligne. En cherchant à mettre en place des mesures proactives, il s'efforce de limiter cette exposition dès le plus jeune âge, dans le but de protéger le bien-être et le développement sain des jeunes générations.
Le projet de loi C-63, c’est quoi?
Le projet de loi C-63 vise à « mieux protéger les enfants » en faisant la promotion de la sécurité et en réduisant les torts causés par les contenus préjudiciables en ligne. Ce projet a comme objectif de créer une réglementation obligeant les médias sociaux et autres plateformes en ligne à prendre des mesures raisonnables contre l’exposition à des contenus préjudiciables telles que des images intimes communiquées de façon non consensuelle ou encore des représentations sexuelles de mineur·es, dont celles réalisées par l’intelligence artificielle - sous peine d’amendes. Cependant, contrairement au PL S-210, le PL C-63 ne vise pas à bloquer l’accès des mineur·es aux contenus pornographiques et violents. Le projet de loi C-63 vise plutôt à sensibiliser les parents, les personnes qui interviennent auprès des enfants et les plateformes numériques aux impacts de l’exposition des mineur·es à ces contenus ainsi qu’à les inciter à mettre en place des mesures de contrôle.
En quoi les deux lois sont-elles complémentaires?
Pour mieux protéger les mineur·es en ligne, il est crucial d’adopter les deux projets de loi et de comprendre leur complémentarité.
Là où le projet de loi C-63 vient établir un cadre global contre les contenus préjudiciables en ligne et créer des obligations plus générales pour les plateformes, le projet de loi S-210 vient spécifiquement protéger les enfants et les jeunes contre l’exposition à du contenu pornographique en limitant l’accès à celui-ci directement à la source. Il est essentiel de faire appliquer les mêmes lois que ce soit en ligne ou dans notre société physique.
En effet, le projet de loi C-63, en englobant des formes de préjudice telles que l'intimidation des enfants, les incitations à l'automutilation et le contenu extrémiste violent ou terroriste, élargit le champ d'action de la protection en ligne. Cependant, il ne prend aucune mesure pour empêcher les mineurs d'accéder à la pornographie en ligne. En fait, il s’agit d’une version édulcorée d’une proposition libérale élaborée en 2021 adoptant une approche très prudente en ce qui concerne le retrait rapide du contenu violent et haineux, invoquant les risques potentiels pour la liberté d’expression. En ce sens, conserver uniquement la Loi sur les préjudices en ligne (C-63), c’est ne faire que 50% du travail nécessaire pour protéger efficacement les mineur·es en ligne.
Et maintenant, on fait quoi?
La Coalition Féministe contre la Violence envers les Femmes est inquiète quant au futur du projet de loi S-210 qui doit être adopté afin de protéger nos enfants. En ce sens, nous souhaitons informer le public à propos de la complémentarité des deux projets de loi et des dangers de conserver seulement le projet de loi C-63 qui malheureusement ne propose pas de mesure concrète pour bloquer l’accès des mineur·es aux plateformes pornographiques.
Selon un récent sondage Léger les Canadiens et Canadiennes soutiennent massivement la vérification de l’âge pour accéder à la pornographie en ligne, avec 77% des personnes répondantes qui y sont favorables. Il est donc impératif que la population se mobilise pour appuyer ce projet de loi.
Vous pouvez contribuer à cette campagne d’information et de sensibilisation en :
● Signant la pétition : https://chng.it/zNC9DTqGRT
● Partageant les publications médias sociaux de la campagne
● Interpellant le premier ministre Justin Trudeau dans vos publications.
À propos de la Coalition féministe contre la violence envers les femmes (CFVF)
La CFVF est une alliance regroupant des organismes communautaires engagés dans la lutte contre la violence envers les femmes à travers le Québec. Sa mission consiste à faire de la promotion, de la sensibilisation et de l'éducation en vue de contrer toutes les formes de violences envers les filles et les femmes, et ce, en tenant compte du caractère systémique de ces violences et des impacts qu'elles peuvent avoir sur elles ainsi que sur leurs proches. La CFVF vise à mettre en commun les savoirs afin de défendre les droits des femmes tant au niveau politique que social, dans une perspective féministe et intersectionnelle sur le territoire du Québec.
Pour plus d’information, écrivez à coordonnatrice générale de la CFVF, coordination@coalitionfeministe.org ou visitez http://www.coalitionfeministe.org/
À surveiller!
Commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes
Le 6 juin dernier, l’Assemblée nationale du Québec créait la Commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes (CSESJ).
Cette commission spéciale a été créée afin d'étudier les enjeux reliés aux impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes, notamment sur :
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le temps d'écran chez les jeunes;
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les mesures d'encadrement des écrans, notamment à l'école et sur le web, y compris l'accès aux outils numériques d'apprentissage;
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l'accès aux réseaux sociaux, y compris via les jeux vidéo;
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la cyberintimidation, y compris le partage de matériel sexuellement explicite;
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l'accès des mineurs à la pornographie sur le web;
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les mécanismes visant à créer une dépendance utilisés par certaines applications;
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la publicité destinée aux enfants sur les plateformes et les applications.
En ce sens, deux enjeux majeurs touchent cette campagne: l’accès des mineur.es à la pornographie et la cyberintimidation. Des consultations particulières sont présentement réalisées. Suite à cela, il y aura une consultation publique et l’accueil de mémoires. En ce sens, la CFVF vous contactera afin de vous proposer une journée d’étude sur le sujet et la mise en place d’un mémoire commun.
En attendant, pour plus d’informations: